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Ordre et cours des choses

Rite et mouvement

(En relisant Le Tao de  la physique de Fritjof Capra)

   Au treizième chapitre de son Tao de la physique, Fritjof Capra note que pour la mystique orientale (hindouisme, bouddhisme, taoïsme), aussi bien que dans "la conception du monde des philosophes à travers les âges", "l'essence de l'univers, sous-jacente et unifiant la multitude des phénomènes que nous observons (...) ne peut être séparée de ses multiples manifestations" et qu'il est même "essentiel à sa propre nature de se manifester elle-même sous des myriades de formes venant à l'existence et se désintégrant, se transformant elles-mêmes les unes dans les autres, sans fin". "Dans son aspect phénoménal, l'Un cosmique est (…) intrinsèquement dynamique…" "Le terme Brahman vient du sanskrit brih – « croître » – et évoque ainsi une réalité dynamique et vivante, "vie, mouvement et progrès" (S. Radhakrishnan), un "mouvant immortel et sans forme" (Brihad-aranyaka Upanishad[1].

   "Le Rig-Veda utilise un autre terme, écrit encore Capra, pour exprimer la nature dynamique de l'univers, le mot rita. Ce mot a pour racine ri – « bouger » ; sa signification originelle dans le Rig-Veda étant le « cours de toutes choses », l' « ordre de la nature ». (…) L'ordre de la nature fut conçu par les prophètes védiques, non comme une loi divine statique, mais comme un principe dynamique inhérent à l'univers. Cette idée n'est pas éloignée de la conception chinoise du Tao (« le Chemin ») en tant que Voie dans laquelle l'univers œuvre, c'est-à-dire l'ordre cosmique. Comme les prophètes védiques, les sages chinois donnèrent ainsi à l'idée d'un ordre cosmique une connotation essentiellement dynamique. Le deux concepts, rita et Tao, furent plus tard utilisés au niveau humain et interprétés dans un sens moral, rita en tant que loi universelle à laquelle tous les dieux et les hommes doivent obéir, et Tao en tant que Voie de vie juste.[2]

 

   Le sanskrit rita donne notre mot "rite" (et "rituel" qui en découle), via le latin ritus, de même sens. (Il n'est pas inintéressant de noter, en passant, que la prononciation du sanskrit rta peut s'écrire rita ou bien arta, où l'on reconnaît, naturellement, le mot "art".) Par définition, un "rite", dont la racine sémantique se rattache à l'idée de mouvement, introduit quelque chose de fixe dans le temps. On a vu ci-dessus, en outre, que le cours et l'ordre de toutes choses sont identiques, ou tout au moins qu'ils sont associés et indissociables – les deux faces d'une même médaille, en quelque sorte ; ce qui rejoint l'idée selon laquelle « la seule chose qui ne change pas, c'est que tout change ». Le rite est également un acte codifié et formalisé : la codification procède d'un impératif d'efficacité magique ; la fixité de la forme permet la répétition du rite, notamment sa répétition par tous, initiés ou novices. 

   Le rite se répète, de même le mouvement de la vie se répète - et doit se répéter, pourrait-on dire - pour être incessant (ou en étant incessant). Pour que quelque chose dure, il faut que quelque chose se répète. Le mouvement perpétuel procède de la répétition ininterrompue d'une mise en mouvement, de la reproduction constante et universelle de l'Acte créateur par lequel l'Univers, et toutes choses en lui, sont créés (mis en mouvement). A chaque instant et en tout lieu se trouve un principe moteur, par lequel toutes choses sont mues, mais qui est lui-même immobile (et immuable). Le rite représente à la fois le mouvement de la vie, par sa réitération régulière, et l'immobilité motrice, par sa fixité (ou son analogie avec la fixité). Il "relance" magiquement ou tout au moins symboliquement le mouvement universel du vivant ; par le rite, l'Homme reconnaît la réalité du mouvement universel et y participe de manière magique, sacramentaire, tout en reconnaissant la réalité non moins fondamentale et universelle d'un principe moteur, immobile et immuable. Le rite ne répond pleinement à sa vocation, il n'a de sens et d'effet véritables qu'à condition d'être toujours différent, toujours nouveau à l'intérieur d'une forme toujours semblable.  

   Le rite, c'est donc la répétition du Un dans le multiple. Lorsqu'un acte est accompli pour la première fois, il est vivifié/spiritualisé automatiquement et de facto par la présence du Un, donc de l'Esprit. Mais ensuite, à chaque fois qu'il est répété, celui qui le répète doit le vivifier/spiritualiser en réintroduisant en lui l'Unité/Esprit. 

   Devenu synonyme de (ou interprété en tant que) "loi universelle", le rite est aussi l'acte par excellence conforme à cette loi. Le premier rite consiste à allumer le feu – et par suite à l'entretenir. Dans le zodiaque, le rite est du Sagittaire, signe de feu qui est aussi celui du dogme, de la doctrine, de l'enseignement. Dans chacun des signes de feu, le feu non seulement brûle mais il s'allume : dans le Bélier, c'est le feu qui apparaît à l'horizon au moment du lever du Soleil, le feu du printemps et le feu de l'amour lorsqu'il s'éveille dans l'homme ; dans le Lion, c'est le feu de l'amour solaire rayonnant dans sa plénitude et donnant naissance à l'enfant ou à l'art ; dans le Sagittaire, c'est le feu des forces solaires qui se transmettent souterrainement jusqu'à la Renaissance de la lumière christique au moment du solstice d'hiver (Noël, fête de la Nativité). [3]

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[1] Fritjof Capra, Le Tao de la physique, éd. J'Ai Lu, pp. 274-275.

[2] Ibid., pp. 275-276.

[3] On observera que le mot "rire" en français, aussi bien que le latin risus de même sens, ressemblent à "rite" et à ritus. Le rire, qui est du signe des Gémeaux, situé en face du Sagittaire, s'oppose au rite par sa spontanéité, son imprévisibilité, sa liberté.

Ce texte s'ajoute à Réflexions - Aperçus de la Gnose

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