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Quelques réflexions sur la Nature

en tant que "construction de l'Esprit"

(1) Fritjof Capra, Le Tao de la physique, éd. J'Ai Lu, p. 236. 

(2) Fernand Hallyn, La structure poétique du monde : Copernic, Kepler. Cit. in Marc D'Angelo, L'Étoile de Bethléem et la comète de Halley, pp. 15-16. 

   Dans Le Tao de la physique (Tao of physics, 1975), Fritjof Capra écrit : "Puisque la géométrie était conçue comme la révélation du divin, de toute évidence, pour les Grecs, les cieux devaient présenter des formes géométriques parfaites. Ainsi les corps célestes devaient-ils se mouvoir selon un dessin circulaire."(1) Cette idée se trouve au cœur de la thématique de L'Étoile de Bethléem et la comète de Halley, ainsi que celle de son rapport avec l'évolution de la science à cet égard. En effet, l'observation et le calcul nous ont amenés à constater - et nous ont obligés à admettre - que les corps célestes suivent des trajectoires elliptiques, non circulaires : 

  "[Les orbites planétaires ou cométaires] ne forment jamais, à proprement parler, des cercles, mais des figures qui lui sont apparentées, y compris lorsqu'il s'agit des planètes les plus proches du Soleil : quand bien même les trajectoires se présenteraient, selon toute apparence, comme circulaires, elles ne le sont pas réellement. Rien, dans le monde matériel, ne peut être rigoureusement désigné comme un cercle – pas plus que comme un triangle, un rectangle ou un carré ; dans l'esprit seul des "choses", dirions-nous pour étendre cette loi à ses applications les plus générales, les "choses" sont exactement elles-mêmes, telles qu'elles sont.

   "Les Anciens n'imaginaient pas d'autre mouvement sidéral qu'un mouvement circulaire ; celui-ci reflétait, à leurs yeux, la perfection divine. Les lois découvertes par Kepler ont conduit les Modernes à se désolidariser de cette vision idéaliste. Au prix d'un douloureux effort et dans le cadre d' « une odyssée entreprise sous le signe même de la croyance établie à la forme circulaire », Kepler, pour qui l'ellipse sera « une contrainte, non un choix », s'éloigne de la « perfection rêvée » pour se soumettre aux faits" (2).

   Capra va plus loin, en affirmant que depuis Einstein, "les scientifiques et les philosophes comprennent que la géométrie n'est pas inhérente à la nature mais lui est imposée par la pensée." (3). Et de citer Henri Margeneau selon qui "la révélation centrale de la théorie de la relativité est que la géométrie est une construction de l'esprit." (4) Capra pense que la philosophie des Grecs s'est démarquée de la philosophie orientale en ceci qu'elle n'aurait pas vu que "l'espace et le temps sont des constructions de l'esprit" (5).

   Mais c'est peut-être faire là un mauvais procès aux Grecs en général. Car, même si certains de leurs philosophes ont ainsi conçu les choses, est-ce aussi le cas de personnages aussi éminents et influents que Pythagore et Platon ? Pythagoriciens et platoniciens, représentants de la philosophia perennis, ne peuvent pas avoir envisagé une géométrie inhérente à la nature qui ne serait pas imposée à celle-ci par la pensée. Simplement, pour eux, cette pensée, c'est d'abord celle de Dieu ; et ce n'est pas seulement celle de l'homme projetant sur la nature (ou interprétant la nature selon) des schémas mentaux. La pensée du "Grand Architecte de l'Univers" se développe et se concrétise dans la création du monde d'après des principes et des paramètres mathématiques et géométriques. Et une conception géométrique-humaine de l'espace-temps n'est pas nécessairement opposable à une conception géométrique-divine du même espace-temps : l'homme, en concevant l'arrière-plan invisible de la nature visible, ne lui applique pas ses propres concepts, mais il retrouve - ou s'efforce de retrouver - ceux que lui a appliqués le Créateur. 

   Que les Grecs - ou certains Grecs - et leurs successeurs - ou certains de leurs successeurs - se soient trompés sur la conformation physique des corps célestes et sur la configuration de leurs mouvements, en les croyant parfaitement sphériques et circulaires, cela n'infère pas pour l'inexistence d'archétypes à la base du monde matériel et de principes et de règles de géométrie d'après lesquels ce monde est construit. Et que l'espace-temps, et par conséquent tout ce qui va avec, en somme l'ensemble du monde manifesté, soit une "construction de l'esprit", cela n'invalide pas l'hypothèse, en admettant que cela ne soit qu'une hypothèse, selon laquelle ils ont été créés par un Dieu géomètre : il faut y voir plutôt la preuve que nous serions, dans le cas où cette hypothèse serait avérée, créateurs à l'image de Dieu. Ce qui est, de fait, une opinion que l'on retrouve dans la philosophie orientale.

   Le monde existe d'abord dans la pensée de Dieu, puis dans la nôtre puisqu'il est création de la pensée et que nous sommes, nous aussi, dotés du "pouvoir de l'Esprit". Mais il y a une différence, une distance entre Dieu et nous : par le pouvoir de l'Esprit se traduisant dans la conscience et la pensée, nous sommes capables de constater le "statut spirituel" du monde mais nous sommes, en l'état actuel des choses, incapables d'exercer le pouvoir créateur de ce même Esprit pour modifier la matière et créer des mondes. Du monde déjà créé, nous sommes seulement les co-créateurs dans la mesure où nous étions avec Dieu au commencement et que nous possédons encore son essence spirituelle. Quand nous étions avec Dieu et unis à Lui, quand nous étions nous-mêmes Dieu, nous avons créé le monde, et il subsiste quelque chose de cet état de fait et de conscience primordial dans la connaissance et la conscience que nous avons de la nature de l'Univers comme une "construction de l'esprit". Cet esprit, c'est celui de Dieu et c'est le nôtre ; c'est celui de Dieu en nous. 

(3) Capra, ibid.

(4) et (5) Capra, op. cit., p. 236 et p. 237.

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